Imider est une petite commune posée au pied du Haut-Atlas, à quelques 300 km au sud-est de Marrakech, entre Tinghir et Boumaln-N-Dadès, sur la N10, l’axe routier reliant Warzazat à Errachidia. C’est une zone désertique parsemée de petites localités dont l’existence est intimement liée à la présence de l’eau. Environ 5000 habitants vivent dans les 7 villages de cette commune (Ait-Mhend, Ait-Ali, Ait-Brahim, Anou N Izem, Izoumken, Taboulkhirt et Ikis), essentiellement de l’activité agricole vivrière (maraichage et petits élevages). Les habitants de cette région sont des Amazighs.
A l’origine : spoliation des terres collectives et des ressources naturelles des populations autochtones
Depuis 1969, la Société Métallurgique de Imider (SMI) exploite un gisement d’argent sur les terres collectives des habitants de Imider, puise dans la nappe phréatique l’eau nécessaire au traitement du minerai, rejette des polluants et n’apporte aucun avantage pour la population locale, pas même l’emploi des jeunes au chômage. Ces dernières années, les paysans de Imider ont constaté le recul des niveaux d’eau très inquiétants, de près de 60%, jusqu’à rendre inexploitables certaines parcelles productives jusque-là. Des champs d’arbres fruitiers ont ainsi été perdus faute d’eau. D’après les constats, l’appauvrissement de la ressource hydrique est due au pompage excessif effectué par la SMI. Plusieurs canalisations partent de plusieurs puits et convergent vers la mine qui consomme de grandes quantités d’eau. La mine utiliserait 1555 m3 d’eau par jour, soit plus de 12 fois la consommation journalière de tous les habitants de Imider. Si la situation devait perdurer, elle menacerait directement la vie dans cette localité.
La pollution
Par ailleurs, les paysans ont constaté plusieurs effets de la pollution générée par l’exploitation du gisement d’argent. Les eaux usagées rejetées par la mine sont hautement chargées de plusieurs composants très toxiques tels que le cyanure et le mercure et stockées à ciel ouvert. Ces eaux empoisonnent les oiseaux et les animaux et s’infiltrent dans la nappe phréatique et la contaminent, ce qui a provoqué la perte de plusieurs têtes de bétail et des maladies de la peau constatées chez les habitants d’Imider. Dans le futur proche, des maladies graves sont à redouter et la vie animale, végétale et humaine est très sérieusement menacée.
Marginalisation socio-économique
Sur le plan social, les habitants ne tirent aucun bénéfice de l’exploitation du gisement d’argent pourtant très rentable (chiffre d’affaires de 75 millions d’Euros et bénéfices de 32 millions d’Euros en 2011). La SMI n’investit aucun Dirham dans les infrastructures locales qui connaissent un grand déficit (dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’électricité, des transports, etc) et ne respecte pas ses engagements de recruter prioritairement la main d’oeuvre locale. Pourtant, cette région du sud-est du Maroc connait un des taux de chômage les plus élevés du pays.
Protestations et revendications
Prenant conscience des conséquences néfastes des conditions d’exploitation de la mine, les habitants de Imider se sont réunis le 1/08/2011 pour réclamer une étude scientifique indépendante sur les externalités négatives produites par la mine, la mise en place par la SMI de dispositifs capables de réduire la pollution, réduction de la quantité d’eau consommée par la mine, investissement d’une part des bénéfices dans la création d’infrastructures sociales et l’embauche prioritaire des chômeurs locaux. La question de la l’illégalité de l’occupation des terres collectives par la mine a également été posée.
Résistance populaire
Afin d’appuyer leurs revendications, les habitants ont commencé à organiser des sit-in réguliers devant la mine puis devant le siège de la commune de Imider. Parallèlement, des discussions ont été entamées entre le comité représentant les habitants (désigné par l’Agraw) et le représentant de la SMI. Trois semaines après, aucune des revendications des habitants n’a été entendue par la firme qui exploite la mine d’argent. En conséquence, les habitants de Imider ont décidé d’utiliser un nouveau moyen de pression : couper l’eau qui alimente la mine. C’est ce qu’ils ont pu faire mais pour un seul point d’eau, celui qui se trouve sur le mont Aleban situé à deux kilomètres à l’est de Imider, les autres puits étant gardés par l’armée. Depuis le 23 août 2011, ils ont installé un campement permanent sur le mont Aleban et gardent fermée la vanne d’eau qui s’y trouve.
De nouvelles réunions ont eu lieu entre les représentants de l’Agraw et ceux de la SMI, en présence des autorités locales, mais sans résultat. A partir de ce moment, les autorités marocaines décident d’utiliser la manière forte dans le but de décourager, puis de déloger les habitants du mont Aleban et de libérer la conduite d’eau fermée.
Répression et manipulations
Le premier à faire les frais de ce changement de stratégie de la part des autorités marocaines, fut Mustafa Ouchtoban, un jeune homme de 27 ans habitant Imider, employé de l’entreprise «Glomine» sous-traitante de la SMI assurant la maintenance de ses équipements. Bien qu’il travaille sur le site de la mine, M. Ouchtoban a choisi d’être solidaire des populations de Imider et membre actif du mouvement de protestation populaire. Le 5/10/2011, il est tout simplement accusé par la direction de la SMI d’avoir volé 18 grammes d’argent de la mine et aussitôt jugé et condamné à 4 ans de prison ferme et incarcéré à la prison de Warzazat. Un jugement arbitraire et une peine d’une extrême sévérité au vu de la faible quantité d’argent supposée volée (18 grammes) et de sa valeur dérisoire (l’équivalent de 15 Euros) et également le fait que les 18 grammes d’argent n’ont pas été trouvés sur M. Ouchtoban mais dans le véhicule de service qu’il conduisait. N’importe qui aurait pu dissimuler cette minuscule quantité de métal argent dans ce véhicule appartenant à l’entreprise. Comme l’ont fait observer les avocats de la défense, il n’y a aucune preuve réelle et sérieuse contre M. Ouchtoban qui est en réalité condamné pour son implication dans le mouvement de protestation contre la société SMI et pour intimider les autres acteurs de ce mouvement.
Cette condamnation considérée comme une provocation, a été fortement dénoncée par l’Agraw, l’assemblée des habitants de Imider et elle a eu pour effet de renforcer la détermination des habitants qui ont initié plusieurs actions de protestation. Parmi celles-ci, le boycottage de l’école par tous les élèves et étudiants jusqu’à la satisfaction des revendications des populations. Pendant ce temps, les forces de sécurité (gendarmerie et forces auxiliaires) utilisent toutes formes de menaces individuelles et d’arrestations arbitraires opérées dans la rue ou au domicile des citoyens, parfois de nuit, afin de les intimider et de les terroriser. Ainsi, au 1/12/2011, 13 personnes ont été arrêtées puis relâchées après les avoir interrogées et menacées. Lorsqu’ils sont en détention provisoire dans les locaux de la gendarmerie royale, les citoyens sont soumis à des mauvais traitements (ils sont frappés, privés de sommeil, insultés, menacés) et sont contraints d’apposer leurs empreintes digitales sur des papiers blancs sur lesquels les gendarmes rédigent ensuite les «dépositions» qu’ils remettent au juge. Des hommes de main sont également utilisés par les autorités pour provoquer et agresser les animateurs du mouvement de protestation de Imider, comme cela s’est produit le 6/02/2012 à Boumal N Dadès, lorsque Brahim Hamdaoui et Hamid Bato, membres de la commission du dialogue de l’Agraw ont été sauvagement frappés par un groupe de huit personnes. Les animateurs du mouvement de protestation sont également sous l’étroite surveillance des gendarmes qui utilisent même des hélicoptères pour poursuivre et terroriser les habitants en attendant le moment propice pour les arrêter. Mais les populations restent mobilisées et leur mouvement de grève générale est toujours suivi de manière assidue ainsi que les manifestations publiques qui se succèdent devant le siège de la commune d’Imider et parfois devant la mine. Le 12 juillet 2012, soit près d’une année après le début de la révolte des habitants contre la Société SMI, Faska Ladad, Benacer Mohand, Karim Lahcen, Djouhad Mohamed et Tayeb Amar, sont arrêtés par les gendarmes puis condamnés un mois plus tard à des peines de 2 ans de prison ferme chacun, pour des motifs liés au mouvement de grève d’Imider. Finalement, le 8/10/2012, la Cour d’Appel transforme la sentence en 2 ans de prison avec sursis, ce qui a permis le retour des 5 personnes chez elles dès le lendemain.
Au cours du mois d’octobre 2012, une autre tactique a été utilisée par les autorités locales de Imider et Tinghir en collaboration avec la direction de la SMI, afin de casser le mouvement de protestation qui est resté ferme et uni malgré 15 mois de résistance dans des conditions très hostiles. Les représentants de l’autorité de l’Etat et ceux de la firme SMI ont eux-mêmes choisi de faux-représentants des habitants et ont fait mine d’entamer avec eux un pseudo-dialogue. Cette méthode a été aussitôt dénoncée par les représentants légitimes de l’Agraw, qui ont mis en garde les autorités contre ce procédé à la fois malhonnête et qui menace la paix civile.
Au mois de décembre 2012, après soit 16 mois de protestation populaire et de grève générale, rien n’a bougé. La Société SMI, bien que privée d’une partie de l’eau dont elle a besoin (celle bloquée par les habitants sur le mont Aleban), continue de fonctionner même au ralenti et compte sur l’épuisement des populations harcelées par les forces de sécurité gouvernementales. Pourtant la SMI ne respecte ni les lois marocaines (exploitation de puits d’eau sans autorisation, non respect des accords signés notamment concernant l’emploi local) ni les lois internationales (particulièrement celles concernant les droits des peuples autochtones). Les habitants de Imider bénéficient du soutien d’associations de défense des droits humains, de certains syndicats et d’un grand nombre d’organisations de la société civile. Mais le gouvernement central reste sourd, aveugle et muet devant l’évidente injustice que vit la population de Imider. Celle-ci souffre mais continue de résister.
La SMI en bref
Créée en 1969, la Société Métallurgique d'Imiter (SMI) est une filiale de la Société Managem, elle-même filiale de la Holding Société Nationale d’investissement (SNI) qui appartient à la famille royale marocaine et qui a réalisé un chiffre d’affaires de 50 milliards de DH en 2010 (4,5 milliards d’Euros). La SMI qui exploite le gisement d’Imider produit des lingots d'argent métal d'une pureté de 99,5 %. Le site est équipé d’une usine de traitement et d’une unité de lixiviation et emploie 444 personnes. En 2011, le chiffre d’affaires de la SMI était de 803 millions de DH (75 millions d’Euros) et un bénéfice net de 351 millions de DH (32 millions d’Euros).
Revendications de l’Agraw, l’assemblée des habitants de Imider :
- Libération immédiate et sans conditions de Mustafa Ouchtoban
- Satisfaction des revendications socioéconomiques et écologiques présentées à la SMI
- Respect des droits des populations de Imider à leurs terres et à leurs ressources naturelles
Rapport rédigé par les membres du CMA en partenariat avec l’APMM-Maroc, section Tinghir, décembre 2012
Rapport transmis au Rapporteur Spécial des Nations sur les droits des Peuples Autochtones, au Comité des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels, à la Direction Maghreb de l’Union Européenne, au Parlement Européen et aux ONG.