Après la mort tragique du jeune marchand de poissons Mohsen Fikri le 28 octobre 2016 à Taghzut (Elhocima), broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de sauver sa marchandise jetée dans la benne par des policiers, la population de cette localité s’est massivement et spontanément soulevée pour exprimer sa solidarité avec la victime et sa famille mais aussi pour crier sa colère contre ce n-ième drame causé directement ou indirectement par les forces policières de l’Etat marocain dans cette région du Rif.
Après plusieurs manifestations qui ont rassemblé à chaque fois des dizaines de milliers de personnes, la population de Taghzut s’est donnée une structure informelle, citoyenne, démocratique et pacifique, appelée « mouvement populaire du Rif » (Hirak Errif, en arabe). Celui-ci s’est donné pour missions d’assurer le suivi de l’homicide de Mohsen Fikri et plus largement de dénoncer les actes d’injustice, de mépris et de violence exercés par l’Etat marocain et pour porter les revendications sociales, économiques et culturelles des populations rifaines. Pour ce mouvement, l’Etat marocain et ses représentants locaux se sont montrés incapables de dialoguer et ne connaissent que le langage de la force. Depuis 2011, huit personnes ont été tuées suite à des violences policières ou militaires et environ 60 personnes ont été arbitrairement condamnées à des peines de prison juste pour avoir réclamé leurs droits civils, socioéconomiques et culturels et pour avoir protesté contre les abus de pouvoir de l’Etat. Concernant la mort de Mohsen Fikri, les animateurs du mouvement populaire de Taghzut estiment que les poursuites judiciaires n’ont touché que les employés de base mais ont curieusement épargné les hauts responsables de l’administration de l’Etat impliqués dans la corruption. Le verdict de la justice rendu public le 26 avril dernier, fait état de 7 personnes condamnées à des peines allant de cinq à huit mois de prison ferme et à une amende de 500 dirhams (50 €). Une sanction tellement dérisoire qu’elle a été comprise par la population comme un mépris pour la vie du jeune poissonnier tué et comme une véritable atteinte à la dignité des Rifains.
Sur le plan socioéconomique, les quelques rares usines (conserveries de poissons par exemple) ont été délocalisées à Fès alors que le taux de chômage ici est plus élevé que la moyenne nationale. Dans ce territoire enclavé, il n’y a pas d’université, ni un hôpital pour traiter notamment les pathologies liées au cancer trois à quatre fois plus nombreuses ici que dans le reste du Maroc, une séquelle de « la guerre chimique » pratiquée par l’armée espagnole contre les populations rifaines dans les années 1920. Les patients atteints de cette maladie sont obligés de se déplacer jusqu’à Rabat ou Casablanca (plus de 500 km) pour se soigner. La pêche industrielle confiée aux grands groupes marocains ou étrangers menace gravement l’emploi et l’activité nourricière des artisans pêcheurs locaux. Malgré les belles paroles politiciennes du gouvernement (comme par exemple le projet fantôme « Elhoceima, phare de la Méditerranée »), il n’y a aucun investissement économique d’envergure, les terres agricoles sont accaparées par la spéculation immobilière et en définitive la région continue d’être reléguée et dévitalisée, générant le désespoir qui pousse les jeunes à l’exil et même au suicide. La région est toujours déclarée zone militaire par un Dahir datant de 1958 et jamais abrogé. Rencontrés en février dernier par une délégation du CMA, des représentants du mouvement populaire de Taghzut ont affirmé que l’état de marginalisation du Rif se poursuit depuis 1956 (date d’indépendance du Maroc) et que le Makhzen a une attitude de suspicion, de défiance permanente et de mépris envers les Rifains. « Le Makhzen maintient le Rif en état de siège, il faut que cela cesse, il faut que les représentants de l’Etat au Rif changent de mentalité et adoptent une posture plus ouverte, plus compréhensive, plus conciliante, plus respectueuse de l’histoire et de la culture rifaines, des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales » ont-ils exigé.
Malgré les revendications scandées par des milliers de voix lors des manifestations populaires qui se suivent sans répit depuis plus de 7 mois, rien n’a été entendu par le gouvernement marocain. Au lieu d’entamer un dialogue sincère et constructif avec les représentants du mouvement populaire, le Makhzen a choisi la méthode des menaces et de la répression violente et la propagande vicieuse qui présente de manière mensongère ce mouvement citoyen comme étant séparatiste et manipulé par des intérêts étrangers. Certains médias proches du gouvernement et les partis politiques de la majorité gouvernementale ont été mobilisés pour mener une campagne de désinformation pour discréditer le mouvement populaire en l’accusant gratuitement de « porter atteintes aux institutions de l’Etat et de créer la discorde ». Des voyous ont même été recrutés pour s’attaquer violemment aux animateurs du mouvement et aux manifestants qui protestent toujours de manière pacifique. L’objectif des autorités est visiblement de criminaliser le mouvement afin de justifier juridiquement la répression sauvage programmée.
C’est ainsi que le 26 mai dernier, les autorités ont saisit le prétexte de la contestation des propos provocateurs de l’Imam d’une mosquée par le porte-parole du mouvement populaire, Nasser Zefzafi, pour lancer un mandat d’arrêt contre lui et contre tous les animateurs du mouvement. Le but évident de l’opération est de décapiter le mouvement en vue d’étouffer la contestation populaire. Les habitants de Taghzut mais également d’autres localités (Nador, Imzouren, Driouch, Ait-Bouayach…) ont alors réagi massivement en organisant des manifestations de rue pour crier leur indignation et dénoncer les arrestations et les violences policières. Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées dont certaines ont été immédiatement transférées à la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) de Casablanca.
Le Congrès Mondial Amazigh (CMA) dénonce avec vigueur l’option répressive prise par le gouvernement marocain. Elle est porteuse de graves dérives car en refusant aux citoyens de s’exprimer pacifiquement, ce gouvernement les pousse à commettre des actes désespérés, ce qui légitimerait son recours systématique et excessif à l’usage de la force. Le CMA exige la satisfaction de toutes les revendications des Rifains et la libération immédiate des personnes arbitrairement arrêtées à Taghzut.
Paris, 18/05/2967 – 30/05/2017
La Présidente
Kamira Nait Sid