SM le Roi Mohamed-VI
Palais royal
Rabat, Maroc
Majesté,
Comme vous le savez, après la mort atroce du jeune poissonnier Mohsen Fikri, broyé par une benne à ordures lors d’un contrôle de police le 28 octobre 2016 à Taghzut (El-Hocima), un large mouvement populaire d’indignation est né spontanément dans cette région du Rif.
Ce mouvement citoyen pacifique mais déterminé, entendait protester contre les crimes, le mépris, les injustices et toutes les formes de discriminations et d’abus de pouvoir infligés au peuple rifain par le Makhzen marocain, depuis l’indépendance du pays en 1956.
Dans ces circonstances d’une haute gravité, les citoyen-nes étaient en droit de s’attendre à ce que le gouvernement marocain manifeste une volonté d’être à leur écoute, de mettre un terme à l’arbitraire, de réparer les blessures causées par l’Etat et de trouver une issue positive au conflit historique qui sépare le Rif du Makhzen. Mais au lieu de cela, au lieu d’esquisser des solutions d’apaisement, le gouvernement s’est engagé dans une très dangereuse politique de répression sauvage qui a fait des morts, des blessés, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées, et des prisonniers par centaines dont certains ont déjà été lourdement condamnés et d’autres attendent d’être jugés. Un certain nombre d’entre eux ont déclaré avoir été torturés, actes rapportés par des ONG et même par le CNDH. Les détenus dont le seul tort est d’avoir usé de leurs droit et liberté d’expression et de manifestation protégés par la Constitution, risquent la peine de mort car la justice makhzénienne a décidé de les accuser gratuitement mais lourdement de «porter atteinte à l’unité nationale» et «à la sécurité de l’Etat».
Par ailleurs, en choisissant la prison de Casablanca comme lieu de détention des Rifains, éloignée de plus de 500 km de Taghzut, les autorités marocaines infligent également une lourde peine aux familles des prisonniers, dont des parents âgés et souvent malades, qui doivent supporter ce long et pénible périple en bus ou en taxi collectif pour rendre visite à leurs enfants, avec les risques et les coûts que cela engendre.
Le Maroc qui se prétend «démocratique» renoue ainsi avec les années les plus noires de son histoire en matière de violations des droits humains.
La poursuite de ces violences d’Etat choisie par le gouvernement marocain est une provocation irresponsable qui suscite tous les jours une réaction légitime de révolte de la part des populations rifaines. Le gouffre qui sépare le Rif de l’Etat marocain ne fait alors que se creuser chaque jour un peu plus. Dans ces conditions, il est clair que c’est le gouvernement marocain qui porte atteinte à la cohésion et à l’unité nationales et non les Rifains.
Dans ce contexte et considérant l’incapacité totale des gouvernements marocains à faire face à l’enjeu rifain, nous vous sollicitons en tant que chef suprême de l’Etat, pour :
- libérer immédiatement tous les prisonniers politiques rifains,
- réparer les dommages matériels et moraux des injustices subies par les familles et les citoyen-nes rifains,
- lever le dispositif sécuritaire exceptionnel mis en place à Taghzut et dans tout le Rif,
- ouvrir un dialogue direct, sincère et constructif avec les représentants de la société civile de Taghzut et de l’ensemble du Rif, concernant l’avenir de ce territoire et de son peuple.
Seules des mesures urgentes et d’une exceptionnelle ampleur sont susceptibles d’atténuer la rancœur et la méfiance des populations rifaines générée par des décennies de mépris et de répression. Nous espérons également qu’elles seront suffisamment fortes pour susciter un retour à la confiance nécessaire au dialogue constructif.
Dans l’attente de ces mesures, nous vous prions d’agréer, Majesté, l’expression de notre haute considération.
Paris, 16/12/2967 – 28/12/2017
La Présidente,
Kamira Nait Sid