Lors de sa 13ème session qui s’est déroulée à Port Louis sur l’ile Maurice du 26 novembre au 1er décembre 2018, le comité de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco a décidé l’inscription des savoir-faire liés à la poterie des femmes de Sejnane en Tunisie, sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
Le comité note que le savoir-faire des potières et la fabrication des poteries de Sejnane «est une tradition vivante, profondément enracinée dans la vie de la communauté et perçue comme faisant partie de l'identité locale». Selon le comité, cette activité traditionnelle «renforce les relations sociales au sein des familles et de la société et met en évidence le lien étroit qui existe entre le développement durable et l’identité culturelle, la dimension socio-économique et le rôle crucial que les compétences traditionnelles jouent dans le développement local».
Afin de préserver l’authenticité de ces poteries et d’éviter de les dénaturer, le comité a mis en garde le gouvernement tunisien contre «le risque élevé de commercialisation excessive» de ce patrimoine et l’a vivement «encouragé à se concentrer sur ses aspects sociaux et culturels». Il a également invité l’Etat à élaborer et/ou à mettre à jour l’inventaire du patrimoine national, conformément à convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Le Congrès Mondial Amazigh (CMA) qui a déjà rendu visite aux potières dans leur village de Sejnane dans le nord de la Tunisie, se réjouit naturellement de cette reconnaissance et félicite chaleureusement ces femmes courageuses gardiennes d’un art ancestral qui ont compris la valeur de ce capital socioculturel unique et l’ont conservé vivant pour le transmettre aux générations futures. Elles prouvent ainsi que le génie autochtone souvent méprisé par la pseudo-modernité, peut traverser les temps et trouver sa place dans l’universel.
Par ailleurs, le CMA note et déplore le fait que le dossier soumis par le gouvernement tunisien à l’Unesco soit truffé d’omissions et approximations qui conduisent volontairement ou par ignorance, à occulter la dimension autochtone amazighe de ce patrimoine. Ainsi, dans tout le dossier il n’est nulle part mentionné qu’il s’agit là, d’un patrimoine typiquement amazigh que l’on retrouve d’ailleurs à l’identique dans d’autres régions amazighes notamment en Kabylie, dans l’Aurès, au Rif, dans l’Adrar Infussen, etc. Le dossier tunisien entretient le flou sur l’origine de ce patrimoine, présenté tantôt comme «berbère», tantôt comme «maghrébin» ou «local». Pourtant, les potières de Sejnane sont des témoins vivants de leur identité amazighe, tant elles s’identifient elles-mêmes comme des Amazighes et qu’elles portent leur amazighité sur elles avec leurs habits, leurs coutumes, leurs chants et leur mode de vie typiques.
A la question posée par l’Unesco sur le «nom de l’élément présenté, dans la langue et l’écriture de la communauté concernée», les rédacteurs tunisiens répondent en langue et écriture arabes, ce qui laisse entendre que les femmes de Sejnane seraient des Arabes. Le CMA a également observé que pour élaborer le dossier soumis à l’Unesco, une vingtaine d’associations ont été consultées mais parmi elles aucune n’est amazighe ou spécialisée dans la promotion de la culture amazighe.
Enfin, alors que le droit international prévoit que les peuples autochtones ont le droit de «préserver et de protéger leurs pratiques, leurs connaissances et leur patrimoine culturel», le dossier présenté par le gouvernement tunisien mentionne qu’il n’y a aucune mesure destinée à «limiter de quelque manière que ce soit l'accès aux savoir et savoir-faire liés à la poterie des femmes de Sejnane». Autrement dit, les poteries de Sejnane peuvent être copiées librement, ce qui constitue un pillage de la «propriété intellectuelle» des femmes de cette communauté et une atteinte à la valeur historique et culturelle de ces poteries.
Pour l’ensemble de ces motifs, le CMA prévoit d’interpeller à la fois l’Unesco et le gouvernement tunisien sur la nécessité de prendre immédiatement des mesures dans le but de protéger les droits et les intérêts des potières de Sejnane et pour mettre un terme à ce qui s’apparente à une falsification de l’histoire et de la culture amazighes.
Tunis, 1/12/2968 – 12/12/2018
Le Bureau du CMA.