Monsieur Jean-Claude Junker, Président de la Commission Européenne (2014-2019)
Madame Ursula Von Der Leyen, Présidente de la Commission Européenne (2019-2024)
Mme Federica Mogherini, haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (2014-2019)
Monsieur Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (2019-2024)
Monsieur David Maria Sassoli, Président du Parlement européen
Monsieur David McAllister, Président de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen
Madame Maria Arena, Présidente de la Commission des droits de l’Homme du Parlement européen
Mesdames, Messieurs les membres de la délégation « Maghreb » du Parlement européen.
Nous vous adressons cette lettre au moment où s’opèrent les changements à la tête de l’Union européenne (la Commission et le Parlement), suite aux dernières élections européennes.
Comme vous le savez, l’UE et l’Algérie sont liées par un accord d’association adopté en 2002. Cet accord ambitionne de créer une « prospérité partagée entre les deux parties » dans différents domaines dont celui de l’instauration en Algérie d’un Etat de droit, la démocratie et le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Dans ce domaine en particulier, l’accord précise dans son article 2 que « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme, tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel du présent accord ».
Dans le cadre de la « politique européenne de voisinage révisée » et dans le but de donner un nouvel élan à l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, les deux parties ont défini en 2017 les axes prioritaires de leur coopération pour l’horizon 2020. A cet égard, l'UE s’est engagée à « soutenir l'Algérie dans leur mise en œuvre, notamment dans les domaines de la gouvernance, de la démocratie participative, de la promotion et la défense des droits fondamentaux, du renforcement du rôle des femmes dans la société, de la décentralisation, le renforcement du système judiciaire qui intègre l'administration pénitentiaire, ainsi que le renforcement du rôle de la société civile ». Il est précisé que « cette coopération comprendra également l’appui à la modernisation et au renforcement des capacités de l'administration publique, le renforcement du contrôle des finances publiques et de l'administration fiscale, la lutte contre la corruption, ainsi que la lutte contre la fuite et le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ».
A quelques mois de l’année 2020, force est de constater l’échec total de l’accord d’association UE-Algérie, particulièrement dans le domaine de l’état de droit, de la bonne gouvernance, de la démocratie et des droits fondamentaux de l’Homme.
En effet, alors que la Constitution algérienne de 2016 pouvait laisser croire à un certain élargissement du champ des droits et des libertés individuels et collectifs (l’officialisation de la langue amazighe, la décriminalisation du délit de presse, la criminalisation de la torture, le caractère exceptionnel de la détention provisoire, la liberté d'exercice du culte, etc), les pratiques montrent sans conteste que la gouvernance et la gestion de l’Etat sont restées largement archaiques et antidémocratiques, basées sur le clanisme, le clientélisme, la corruption, l’abus de pouvoir, l’inféodation de la justice au pouvoir exécutif, l’islamisme étatique, les interdits et la répression des libertés, etc.
Au cours de ces derniers mois, Kamel-Eddine Fekhar, défenseur des droits humains est mort en prison, son avocat, Maitre Dabouz, a été mis sous contrôle judiciaire, des dizaines de personnes sont en prison depuis le mois de juin dernier juste pour avoir porté le drapeau amazigh, des citoyens de confession chrétienne sont persécutés, des défenseurs des droits et des libertés harcelés et criminalisés, le code de la famille qui institue l’inégalité homme-femme est toujours en vigueur, etc. Le président de la république par intérim et son gouvernement ont été mis en place par l’armée hors de tout cadre légal et pire encore, il s’avère que le vrai chef de l’Etat, c’est le chef de l’état-major de l’armée algérienne, le général Gaid Salah dont les discours hebdomadaires tiennent lieu de lois, vite appliquées par la police et des juges en service commandé. La façade civile représentée par le gouvernement algérien ne cache plus le réel régime militaire qui gouverne l’Algérie par la menace et la peur. Cela nous rappelle le Chili de Pinochet. Et s’il n’y a pas eu plus de drames, cela est dû uniquement au pacifisme et au sens des responsabilités du peuple qui refuse de répondre aux provocations brutales des services de répression algériens.
Les conséquences de ce chaos politique commencent à se faire sentir et vont rapidement s’aggraver : dégradation des conditions sociales, instabilité, exil.
Avec une stratégie à courte vue, l’Union Européenne a toujours privilégié ses intérêts économiques et géostratégiques, notamment l’accès aux hydrocarbures et la lutte contre l’immigration illégale, au détriment du soutien à la mise en place de l’état de droit, du développement durable, des principes démocratiques et du respect des droits de l'Homme.
L’échec de l’accord d’association UE-Algérie après plus de 15 ans de mise en œuvre est donc aussi un échec de l’UE. Aujourd’hui encore, l’UE qui ne peut ignorer la situation dangereuse que vit l’Algérie, reste silencieuse et paralysée. Ce faisant, l’UE et les Etats qui la composent se font les complices objectifs de la dictature militaire qui agit désormais à visage découvert en Algérie.
Or l’Union Européenne et ses Etats membres, ont pour obligation d’agir rapidement et fermement pour stopper les dérives totalitaires en Algérie, pour au moins deux raisons : La première est que la dégradation de la situation politique, économique et sociale dans ce pays affectera immanquablement et immédiatement les pays de l’Europe, notamment par un afflux de nouveaux réfugiés. La seconde est que l’UE s’est formellement engagée à respecter et à faire respecter par son partenaire algérien les clauses de l’accord d’association, y compris l’article 2 de cet accord. Celui-ci a la particularité d’être « un élément essentiel » de l’accord et de ce fait, il conditionne l’existence dudit accord. En conséquence, la violation de cet article par le gouvernement algérien donne la possibilité à l’UE de dénoncer cet accord. L’UE possède donc un moyen de pression efficace sur les autorités algériennes. Il suffit qu’elle ait la volonté et le courage de l’utiliser.
Eu égard à ces motifs et pour aider l’Algérie à se mettre résolument et durablement sur la voie de la démocratie, de la stabilité, des droits humains et du progrès social, le Congrès Mondial Amazigh (CMA) recommande instamment à l’Union Européenne et à chacun de ses Etats membres :
- de suspendre immédiatement l’accord d’association UE-Algérie,
- de mettre l’Algérie sous embargo pour tout ce qui concerne les moyens militaires et de répression,
- de mettre sous séquestre les biens des hauts responsables algériens en Europe,
- d’exiger la libération de tous détenus politiques,
- d’exiger la fin des violations des droits humains et des libertés fondamentales,
- d’exiger la mise en œuvre d’une feuille de route à court terme, avec les organisations de la société civile et des personnalités indépendantes et représentatives, impliquant une période transitoire destinée à mettre en place un processus démocratique, inclusif et transparent aux fins d’instaurer à terme, un système politique démocratique, pluraliste et respectueux de la diversité et des droits individuels et collectifs.
L’Union Européenne est aussi responsable et concernée par la grave crise que traverse aujourd’hui l’Algérie. Elle doit donc agir et le plus vite sera le mieux.
Nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de notre considération distinguée.
Paris, 12/09/2019
Le Bureau du CMA.