Les Amazighs vivant dans les différents pays de Tamazgha (nord de l’Afrique et Sahara) considèrent les médias publics nationaux (notamment la TV) comme peu fiables. Aussi, quand ils ont besoin de s’informer, ils s’informent généralement via les télévisions étrangères diffusées par satellite et par les réseaux Internet. Le bouche à oreille et le « téléphone amazigh », c’est-à-dire la circulation de l’information de manière informelle en langue amazighe, fonctionnent très bien également.
Les Amazighs sont également en contact permanent avec leur diaspora à l’étranger qui leur fournit les nouvelles qui peuvent leur être utiles. Tout cela a fait que les Amazighs étaient avertis très tôt de la propagation du coronavirus dans le monde et ont prévu son arrivée dans leurs pays. Les populations amazighes qui ont ainsi pu voir venir la pandémie de loin, ont réagi de manière anticipée pour se protéger, sans attendre les directives des Etats. Et très vite, c’est-à-dire dès le mois de février dans certaines régions, les communautés amazighes, notamment en milieu rural et de montagne, ont mis en place des « comités de vigilance » qui ont décidé et appliqué des mesures strictes pour éviter l’introduction et la diffusion du coronavirus au sein de leurs territoires.
Ce réflexe communautaire est d’origine culturelle mais il est également lié au contexte du pays. Il est culturel car les communautés amazighes ont pour tradition d’être autonomes et de compter d’abord sur leur capacité à être solidaires notamment pour gérer un évènement exceptionnel ou pour faire face à un grave danger. En Kabylie par exemple, pratiquement tous les villages disposent d’un comité de village, inspiré des Tajmaat, anciennes assemblées villageoises, véritables institutions reconnues et respectées par les habitants, qui administraient leurs territoires comme des républiques indépendantes. Cette nécessité de compter d’abord et surtout sur soi-même se trouve renforcée par le sentiment et le fait que les services publics étatiques sont absents ou très défaillants. C’est donc parce qu’ils connaissent les déficiences des services publics de santé et le délabrement des structures de santé de l’Etat, que les Amazighs ont tout fait, de leur propre initiative et avec leurs propres moyens, pour se préserver du covid-19.
Concrètement, partout où ils pouvaient s’organiser de manière autonome, les Amazighs ont fermé leurs territoires aux visiteurs étrangers non indispensables et ont mis en place des contrôles à l’entrée et à la sortie, ont préconisé le confinement pour les habitants et ont mis en place des ravitaillements collectifs en denrées alimentaires, médicaments et autres produits de première nécessité. Les personnes en contact avec le monde extérieur portent systématiquement des masques en partie fabriqués localement, les véhicules et les espaces publics sont régulièrement désinfectés. Les comités de village ont également veillé à ce que les plus nécessiteux et les personnes vulnérables ne soient pas laissés de côté. Toute cette organisation est basée sur la solidarité et l’entraide, maitres mots pendant cette crise sanitaire.
Le résultat de cette auto-organisation et de la responsabilité partagée dans la lutte contre le coronavirus s’est avéré extrêmement positif puisque le nombre de personnes infectées dans ces territoires est resté très bas. D’après certains témoignages, pour faire face au coronavirus, les Amazighs de certaines régions ont également renoué avec leurs connaissances et leur savoir faire en pharmacopée et en médecine traditionnelles pour se soigner. De fait, les décès survenus au cours de ces derniers mois dans les régions amazighes, sont dûs en grande majorité à d’autres causes que le covid-19.
La grande leçon à tirer de la gestion de cette épreuve est que, lorsque les Amazighs retrouvent leur autonomie, lorsqu’ils redeviennent libres de s’organiser, ils renouent instinctivement avec les valeurs et les ressources tangibles et intangibles que recèle leur culture ancestrale pour inventer des solutions adaptées à leurs préoccupations et à leurs besoins.
Et paradoxalement, les autorités étatiques n’apprécient guère ces institutions communautaires amazighes traditionnelles et leur gestion autonome. Les Etats hyper-centralisés n’acceptent pas que des décisions, même les plus courantes, puissent être prises et appliquées hors de leur contrôle. Ils refusent de reconnaitre l’existence des peuples autochtones et de leur concéder le moindre pouvoir de décision, le moindre espace de liberté. Les autorités de l’Etat essayent donc par tous les moyens d’entraver le fonctionnement de ces structures communautaires et adoptent une attitude suspicieuse envers leurs animateurs. En Kabylie par exemple, les représentants de l’Etat au niveau local (les chefs des administrations locales, les autorités de police et de gendarmerie) surveillent, convoquent et tentent d’intimider des membres de comités de village en les menaçant de les poursuivre pour activités illégales et même pour « atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’unité nationale ». Pendant cette crise sanitaire, les gendarmes ont démantelé plusieurs points de contrôle mis en place par les comités de villages, ont exercé des actes de violence à l’encontre des personnes et ont même essayé de s’ingérer dans des opérations de distribution de denrées alimentaires aux habitants. Et on observe que très souvent, les représentants de l’Etat qui sont au contact direct avec les populations, ce ne sont pas des autorités civiles mais des gendarmes équipés de fusils de guerre, comme si c’était une armée d’occupation. Et ces gendarmes sont généralement des arabophones qui ne comprennent pas et ne parlent pas Tamazight, ce qui ne facilite guère les échanges, ni la sérénité des relations avec la population. Cela se traduit souvent par des incidents, parfois graves et dont les victimes sont toujours les autochtones.
En Algérie, le 20 avril 2020, en pleine pandémie du covid-19, le gouvernement a fait adopter la loi n° 20-06 qui réprime gravement « quiconque reçoit de l'argent, un cadeau ou un avantage de la part d’un Etat, d’une institution, ou instance publique ou privée, ou de toute personne physique ou morale, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, dans le but d’entreprendre des actes qui pourraient nuire à la sûreté de l’Etat et la stabilité de ses institutions, ou à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale ». Pour le Congrès Mondial Amazigh et d’autres ONG, cette loi au contenu très vague, vise tout simplement à interdire les aides fournies par la diaspora amazighe à leurs communautés d’origine, et à entraver la solidarité intra et intercommunautaire. Cela est très dangereux pour la vie et le mode de vie de ces communautés. La même loi sanctionne également la diffusion de « fausses informations », ce qui n’est qu’une façon de porter atteinte à la liberté de s’exprimer.
Le gouvernement marocain a également adopté le projet de loi n° 22-20 au mois d’avril 2020 qui punit lourdement « la diffusion de fausses nouvelles » sur internet. Cette loi vise à restreindre la liberté d’expression et notamment à empêcher toute critique du gouvernement.
Les Amazighs n’ont jamais été consultés par les gouvernements sur les mesures sanitaires adoptées, ni sur le mode de leur mise en œuvre pour faire face au coronavirus. Par exemple, les dates et horaires de confinement et de déconfinement ont été décidés de manière unilatérale, sans la consultation des représentants des populations autochtones. Dans la plupart des territoires amazighs, les autorités n’ont pas distribué de matériel de protection contre le coronavirus (masques, gel hydroalcoolique…), ni diffusé convenablement l’information en langue amazighe.
En conclusion, il est primordial que les Etats modifient radicalement leurs relations avec les Amazighs et leurs modes d’intervention en territoires amazighs dans le sens d’une conception plus apaisée, basée sur la reconnaissance, le respect, la réparation et la réconciliation.
Recommandations
-reconnaitre et respecter les structures de représentation locale des Amazighs,
-reconnaitre et respecter les droits collectifs des Amazighs conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,
-respecter le principe du consentement préalable, libre et éclairé des Amazighs sur toutes les questions qui les concernent,
- retirer le corps de gendarmerie des territoires amazighs et mettre en place des services de sécurité locaux, placés sous l’autorité des institutions locales représentatives,
- appliquer les recommandations de l’ONU concernant les peuples autochtones dans le contexte du covid-19.
Paris, 1/04/2970 – 12/05/2020
Bureau du CMA.