A Monsieur Abdemadjid Tebboune
Chef de l’État algérien
Palais présidentiel d’El-Mouradia
Alger, Algérie
Lettre ouverte (LRAC)
Monsieur Tebboune,
Comme vous le savez, à l’indépendance de l’Algérie en 1962, les panarabistes algériens ont imposé au pays par la force, une identité exclusivement « arabe et musulmane », niant et excluant la composante amazighe autochtone. Depuis, tous les moyens politiques, législatifs, financiers, administratifs et coercitifs de l’Etat sont mobilisés pour assimiler les millions d’Amazighs, interdire l’expression de leur culture et réprimer implacablement les défenseurs de l’identité amazighe. De tout temps, les Amazighs ont connu le racisme, le mépris, les menaces, les violences (physiques et psychologiques), les arrestations, les emprisonnements, les assassinats et l’exil forcé. Peuple pacifique, les Amazighs n’ont jamais répondu aux violences de l’État algérien par la violence. Ils ont toujours revendiqué leurs droits par des moyens légaux et non-violents.
Après des décennies de luttes et de sacrifices des Amazighs et des Kabyles en particulier, le pouvoir algérien dominé par l’institution militaire, a fait mine de reconnaître leurs droits en accordant à leur langue – Tamazight – le statut de « langue nationale » en 2002, après que les forces de sécurité algériennes eurent tué 126 personnes lors de manifestations pacifiques en Kabylie. Les auteurs et les responsables de ce massacre, que les Kabyles appellent le « printemps noir », n’ont jamais été sanctionnés. En 2016, Tamazight accède au statut de langue officielle à côté de la langue arabe et Yennayer, le Jour de l’An amazigh est institutionnalisé comme jour de fête nationale en 2018. Mais ces « avancées » ne sont que formelles, l’amazighité n’ayant jamais été réhabilitée, ni promue dans les faits. Au contraire, aucune législation et aucun véritable plan de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe n’ont été adoptés et les obstacles à la promotion de Tamazight demeurent nombreux. Pendant ce temps, la politique d’assimilation forcée des Amazighs ne connaît aucun répit.
Depuis votre prise de fonctions en décembre 2019 Monsieur Tebboune, la situation a empiré. Cela a conduit la Kabylie (environ 8 millions d’habitants) à adopter la désobéissance civile comme mode de résistance face aux injustices, à l’abus de pouvoir et à l’oppression. Ainsi, les Kabyles ont refusé de prendre part aux consultations électorales algériennes, ce qui s’est traduit par un historique zéro vote lors du scrutin présidentiel de 2019, zéro vote pour la réforme de la Constitution en 2020 et encore zéro vote pour les législatives de 2021. Une manière magistrale du peuple kabyle de rejeter votre système jugé tyrannique, raciste et nuisible. Face à cette attitude de défiance de la Kabylie envers l’État et son gouvernement, en chef d’État normal vous auriez dû rendre visite à ce peuple et tenter de nouer un dialogue sincère avec lui. Mais vous n’avez rien fait. Pas de visite, pas de geste bienveillant, mais au contraire vous avez tenu des discours menaçants et mis en œuvre des actes punitifs contre la Kabylie. Votre attitude a été d’exclure au lieu d’inclure, de punir au lieu de comprendre, vous contentant d’occuper votre poste enfermé dans le palais présidentiel sous la protection des militaires, sans aucune considération pour le peuple.
Depuis votre arrivée au pouvoir, la Kabylie a brûlé comme jamais au mois d’août 2021, faisant entre 250 et 300 morts, des centaines de blessés, des villages détruits et d’immenses dégâts matériels et écologiques. Votre ministre de l’intérieur a déclaré que ce sont des « mains criminelles » qui auraient allumé les feux en Kabylie mais sans qu’aucune enquête indépendante n’ait été menée, comme nous l’avions demandé, pour identifier les pyromanes. Quelques mois après, la police procède à l’arrestation arbitraire d’une centaine de Kabyles et la justice les condamne lourdement, dont 54 à mort, lors de simulacres de procès où le droit et les procédures de justice ont été violés. Durant la pandémie du Covid-19, vos services ont empêché les villageois de s’organiser pour limiter la propagation du coronavirus et de faire fonctionner la traditionnelle solidarité intra-communautaire. Les services des Douanes et de la police des frontières ont fait obstacle à l’envoi de respirateurs par la diaspora amazighe et kabyle particulièrement. De ce fait, des milliers de personnes sont décédées faute de soins.
Pour tuer toute vie politique et culturelle et imposer le silence à tous, vous renforcez la législation répressive et liberticide, vous criminalisez ce qui relève de la liberté d’opinion, d’expression et de réunion et vous lancez une vaste campagne d’arrestations visant les forces vives kabyles : défenseurs des droits de l’homme, militants politiques, journalistes, étudiants, écrivains, artistes, etc. Les Brigades de Recherche et d’Intervention (BRI) de la police de sinistre réputation, sèment la terreur dans les villes et villages kabyles, violant les domiciles pour arrêter des personnes innocentes hors de toute légalité. Kamira Nait Sid, coprésidente du Congrès Mondial Amazigh a été enlevée en pleine rue le 24 août 2021, séquestrée, puis condamnée en 2022 puis 2023 lors de procès sans justice. Pourtant l’ONU a jugé que Kamira Nait Sid est une défenseure des droits de son peuple et que sa détention est arbitraire et a demandé sa libération immédiate mais en vain. Lors de l’Examen Périodique Universel en 2022, l’ONU a également condamné l’Algérie pour ses violations des droits de l’homme et pour sa législation trop répressive et en contradiction avec le droit international et lui a demandé de la mettre en conformité avec celui-ci. Mais l’État algérien que vous dirigez fait la sourde oreille et il continue de faire obstacle aux visites des Rapporteurs Spéciaux de l’ONU et des ONG, au mépris de ses obligations internationales.
Monsieur Tebboune, vous avez déclaré récemment que votre gouvernement respecte toutes les décisions de l’ONU. Qu’attendez-vous alors pour libérer Kamira Nait Sid ainsi que les centaines de détenus politiques et d’opinion qui croupissent injustement dans les geôles algériennes ?
Le gouvernement algérien laisse libre cours au racisme anti-amazigh et met en œuvre l’« opération zéro kabyle ». Désormais, le seul fait d’affirmer qu’on est Kabyle peut conduire en prison. Après l’anéantissement des Chawis, après l’écrasement des At-Mzab, après la relégation des Kel-Tamasheq, le pouvoir panarabiste algérien s’attaque avec une violence inédite à la Kabylie considérée comme le dernier bastion de l’amazighité en Algérie. Fuyant la terreur, des centaines de Kabyles quittent quotidiennement le pays clandestinement. Des milliers de Kabyles fichés à leur insu, sont interdits de sortie du territoire algérien et des milliers d’autres résidant à l’étranger ne peuvent pas rentrer en Kabylie pour rendre visite à leurs familles car ils craignent d’être arrêtés à leur arrivée ou d’être empêchés de repartir. L’Algérie met ainsi en œuvre l’assignation à résidence des Kabyles à l’intérieur et à l’extérieur du pays, hors de tout cadre légal. C’est la punition infligée à tout un peuple, sommairement et gratuitement.
Monsieur Tebboune, vous en voulez à l’existence même de l’amazighité dans ce pays. C’est un véritable ethnocide que vous mettez en œuvre de manière implacable. Vous tentez de faire croire que les Amazighs sont des terroristes alors que ce sont vos forces spéciales qui sèment l’épouvante, vous traitez les Amazighs de séparatistes, mais les séparatistes c’est vous car vous êtes soumis à l’idéologie arabonationaliste et islamiste qui vous impose de mettre en œuvre une politique qui vise à séparer le pays de ses racines autochtones amazighes et de lui greffer des racines importées qui ne prennent pas. Citer tous les crimes, les violences, les graves et systématiques atteintes aux libertés et aux droits ainsi que les mauvaises pratiques dont vous êtes responsable, prendrait des centaines de pages. L’Algérie est souvent comparée à la Corée du nord et à la Birmanie, deux dictatures bien connues dans le monde.
L’oppression, le racisme et la haine anti-Amazighs en Algérie sont absurdes, inconcevables et inacceptables. En tant qu’Amazighs, nous ne pouvons pas assister sans réagir à la mise à mort de ce que nous sommes. C’est pourquoi le Congrès Mondial Amazigh a décidé de vous interpeller fermement une nouvelle fois pour, tout d’abord vous demander de libérer sans délai tous les détenus politiques et d’opinion et mettre un terme à la répression brutale et insensée exercée contre les Amazighs et particulièrement les Kabyles.
Ensuite, la solution durable passe par l’instauration d’un dialogue sincère avec tous les peuples amazighs (Chawi, At-Mzab, Kel-Tamasheq et Kabyle), dans le respect du droit international relatif aux droits de l’homme et des peuples. C’est la voie que nous vous invitons instamment à emprunter afin de restaurer l’entente, la paix et favoriser le climat de prospérité dans le pays.
Nous attendons votre réponse que nous espérons positive d’ici à la fin de ce mois de mai. Sans réaction de votre part ou si celle-ci est négative, le Congrès Mondial Amazigh s’en remettra à l’ONU à qui nous demanderons de mettre en œuvre des mesures de protection et l’exercice d’une action de médiation. Notre seul but est de mettre un terme aux souffrances des Amazighs d’Algérie et de leur permettre de vivre libres, dans la dignité et la paix sur la terre de leurs ancêtres.
Veuillez agréer, Monsieur Tebboune, l’expression de nos salutations distinguées.
Paris, 1/04/2973 – 12/05/2023
Le Bureau du Congrès Mondial Amazigh