Le Maroc accède à la présidence du Conseil des droits de l’homme mais continue de pratiquer les discriminations raciales à l’encontre des Amazighs
Le 10 janvier 2024, le Maroc accède pour la première fois à la présidence du Conseil des Droits de l’Homme (CDH).
Contrairement à ce que proclament les autorités marocaines, cela ne constitue en rien une «reconnaissance par la communauté internationale» d’un éventuel leadership marocain en matière de protection et de promotion des droits de l'Homme. L’histoire des élections au Conseil des droits de l’homme montre bien que les arrangements politiques entre Etats pèsent plus lourd que les critères de respect des droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus. Ainsi, il est très regrettable de constater que ni le Maroc, ni la grande majorité des Etats membres du CDH ne respectent une des conditions essentielles pour accéder à cette haute instance, celle d’être conforme aux «normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme». En tout état de cause, le Congrès Mondial Amazigh (CMA) estime que l’accès à la présidence du Conseil des droits de l’homme n’est pas une consécration mais une lourde charge à porter car elle impose à l’État d’immenses efforts pour espérer mériter un jour ce titre et améliorer ainsi la crédibilité de l’ensemble du CDH. Pour ce qui nous concerne en tant qu’ONG de protection et de promotion des droits des Amazighs, nous n’attendons pas le gouvernement marocain sur le terrain des discours mais dans celui des actes concrets dûment constatés. En conséquence et pour l’heure, nous ne félicitons pas les autorités marocaines mais nous nous engageons à le faire dès que nous constaterons des actes résolus et sincères en faveur de la restauration pleine et entière de tous les droits des Amazighs sur la terre de leurs ancêtres.
Dans l’immédiat, le Congrès Mondial Amazigh s’adresse au roi du Maroc, autorité suprême du pays, pour lui demander de mettre un terme aux discriminations raciales et aux violations des droits des Amazighs, peuple autochtone du Maroc. Voici quelques exemples de cas parmi les plus préoccupants qui appellent des solutions urgentes:
1. Des milliers de victimes du séisme dévastateur survenu le 8/09/2023 dans la région amazighe du Haut-Atlas ont été laissés à l’abandon, malgré les promesses d’aide. Ayant tout perdu, ils survivent sous des tentes exposés aux pluies et au grand froid de l’hiver en montagne. Ils ont vainement tenté d’alerter les autorités locales. N’ayant trouvé aucun responsable gouvernemental à qui s’adresser, ils ont décidé de descendre de leurs villages le 19 janvier 2024 pour marcher par milliers vers Marrakech, la capitale régionale. Le Congrès Mondial Amazigh réclame la prise en charge immédiate par l’État de toutes les doléances des sinistrés et que cesse le mépris, la marginalisation et la discrimination raciale que subissent les Amazighs de l’Atlas. D’une manière générale, le CMA demande la mise en œuvre d’un véritable plan de rattrapage économique et social en faveur des territoires Amazighs délaissés, notamment dans le Rif, l’Atlas, l’Assamer et le Souss.
2. Le 17 janvier 2024, les habitants du village Amazigh de Imswan situé à 70 km au nord d’Agadir sur la côte atlantique, ont été informés verbalement par les autorités locales qu’ils avaient vingt-quatre heures pour ramasser leurs affaires et quitter les lieux car leurs habitations seront démolies. Les habitants autochtones sous le choc et impuissants, ont alors assisté à la destruction brutale de leurs maisons au motif que le littoral appartiendrait au domaine maritime de l’État. Le CMA dénonce vivement à la fois la méthode traumatisante employée par les autorités pour chasser illégalement les habitants de ce paisible village Amazigh et l’accaparement de cette terre amazighe par l’État. Le CMA rappelle que le domaine public de l’État a été constitué par les spoliations des terres collectives des Amazighs qui ont commencé au temps de la colonisation française et qui se sont poursuivies jusqu’à nos jours. Le CMA réclame la rétrocession de toutes les terres des Amazighs spoliées et/ou l’indemnisation appropriée de leurs anciens propriétaires.
3. Suite au dépôt en novembre 2023 du dossier de demande d’agrément administratif d’un nouveau parti politique dénommé «Tamunt pour les libertés» qui défend l’identité amazighe du Maroc, le ministère de l’intérieur marocain a refusé l’enregistrement de ce nouveau parti et a transféré son dossier au tribunal administratif avec un avis défavorable. En 2008, le ministère de l’intérieur avait également empêché la création du Parti Démocratique Amazigh du Maroc (PDAM). Le Maroc autorise l’existence et les activités d’une cinquantaine de partis politiques d’obédience «arabe et islamique» et pas un seul parti Amazigh au moment où les Amazighs représentent la majorité de la population au Maroc. De plus, ces partis «arabo-islamiques» ne sont pas conformes à la Constitution actuelle du pays. Dans ce domaine aussi, les Amazighs du Maroc subissent une grave discrimination raciale. Le Maroc doit cesser d’interdire l’expression de la parole politique amazighe.
4. Alors que Tamazight est langue officielle depuis plus de 12 ans, appuyée par une Constitution et une loi organique, elle fait face à un grand nombre d’obstacles illégaux qui sapent son caractère officiel, en toute impunité. Elle est mise sciemment en échec, exclue ou marginalisée, par le gouvernement lui-même, dans les domaines de l’enseignement, de la communication publique, de la justice, de l’administration et autres services publics comme la police ou les transports. Les documents d’identité et les récents instruments monétaires (billets et pièces de monnaie) émis par la banque centrale ne portent aucun signe amazighe, en violation de la Constitution et de la loi organique n° 26-16 de 2019. Il est impératif d’identifier les auteurs et les responsables de ces actes racistes et illégaux et les faire condamner.
5. Exemple illustratif du racisme anti-Amazigh qui continue de gangrener l’administration marocaine, l’interdiction du prénom «Amazigh» décidée par la Province de Tinghir en décembre 2023. Il aura fallu l’obstination de la famille du petit Amazigh Tair, le soutien des organisations amazighes et la menace de recourir aux tribunaux pour qu’enfin le prénom Amazigh soit enregistré par les services de l’état-civil de la Commune de Ait-Sedrat-Adrar-Ufella en janvier 2024. Devant tant d’écueils et la crainte des représailles des autorités, des milliers de parents renoncent à donner des prénoms Amazighs à leurs enfants. Cela est inacceptable.
6. Au moment où le Maroc accède à la présidence du CDH, Nasser Zefzafi et ses camarades sont toujours en prison, de manière injuste et arbitraire. Il est urgent de leur rendre leur liberté et de les indemniser pour les préjudices qu’ils ont subis, eux et leurs leurs familles, car ils ont été condamnés lors de procès inéquitables et pour des motifs politiques inavoués.
7. A ce jour, nous constatons que les observations et les recommandations faites au gouvernement marocain en 2018 par Mme E. Tendayi Achiume, Rapporteure Spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, ne sont pas prises en considération et encore moins suivies d’effet. Il en est de même pour les recommandations du Comité de l’ONU sur les discriminations raciales adressées au gouvernement marocain lors de sa session de novembre 2023.
Il serait trop long de citer les milliers d’actes quotidiens de racisme, de discriminations, de préjugés négatifs et de violations des droits des Amazighs du Maroc, dans tous les domaines. L’État marocain ne peut pas prétendre diriger une instance de l’ONU aussi importante que le Conseil des Droits de l’Homme tout en se soustrayant à ses obligations telles que mentionnées par les différents mécanismes de l’ONU relatifs aux drots de l’homme et des peuples.
L’élection à la présidence du CDH, instance mondiale des Droits de l’Homme n’aurait aucun sens, aucune valeur si le Maroc continue de violer les droits fondamentaux des Amazighs, tels qu’ils sont reconnus par la législation nationale et par les instruments internationaux relatifs aux Droits de l’Homme et des peuples.
Aussi, le Congrès Mondial Amazigh demande instamment:
- La prise en charge immédiate des doléances des victimes du séisme de 2023, suivie d’une enquête indépendante afin d’identifier les responsables qui ont privé les sinistrés du séisme des aides auxquelles ils avaient droit et les sanctionner,
- la restitution des terres spoliées aux Amazighs ou leur indemnisation équitable et l’abolition des lois d’expropriation des terres collectives des Amazighs,
- l’indemnisation des habitants du village de Imswan, et l’application de sanctions à l’encontre des autorités qui ont ordonné la destruction des maisons des villageois,
- un vigoureux plan de rattrapage socio-économique en faveur des territoires Amazighs marginalisés,
- la libération immédiate des détenus Rifains,
- l’enregitrement sans délai du parti Tamunt pour les libertés,
- un plan d’actions avec un calendrier précis pour la mise en œuvre des recommandations des organes de l’ONU,
- un plan et un calendrier précis de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, piloté par un comité comprenant un nombre égal de représentants gouvernementaux et d’associations amazighes indépendantes,
- l’identification et la sanction sévère des auteurs et des responsables des actes racistes et discriminatoires anti-Amazighs et des blocages à l’épanouissement de l’amazighité au Maroc. A titre d’exemple, nous demandons à ce que le gouverneur de la province de Tinghir qui a interdit le prénom Amazigh soit relevé de ses fonctions et poursuivi en justice pour racisme anti-amazigh.
Paris, 18/01/2974 – 30/01/2024
Le Bureau du CMA